Remontons le temps de 6 siècles et voyageons dans ce joli Cotentin ( situé tout au nord du futur département de la Manche).
Le sieur de Gouberville, ( 1521 à 1578 ), gentilhomme du Mesnil-au-Val et de Russy, dans le Cotentin, fut un seigneur hors du commun puisqu’il, en ce qui nous concerne, créa des dizaines de variétés de pommes à cidre, pour en faire une délicieuse boisson, le cidre….De plus, pendant 13 ans, il tenait des cahiers sur ses créations…Et encore mieux, ses cahiers nous sont parvenus….
Suite à ma demande, Mr Philippe René-Bazin, de l’association »Comité Gilles de Gouberville » m’a permis d’inclure dans ce blog l’article suivant. Je l’en remercie.
»Les pommes
GILLES ET LES POMMES
Gilles de Gouberville fut, ce qu’on pourrait appeler, un mordu de la pomme, ou plus élégamment, comme l’écrit le professeur Emmanuel Le Roy Ladurie, un « mono-idéique » de la pomme. Il éprouvait en effet une véritable passion pour ce fruit et sa culture, et l’écrit dans son Livre de raison, un grimoire qu’il n’a jamais destiné à la publication.
Qui dit pommes dit forcément pommiers et il est assurément un des plus actifs propagateurs de cet arbre, tant dans le Cotentin que dans le Bessin où il avait hérité de son oncle le domaine de Russy, à quelques kilomètres de Bayeux.
Tout au long de son Journal il donne mille détails sur sa façon d’élever et de multiplier ses pommiers. Entre la fin des moissons en août et l’explosion de la sève au début d’avril, nombreuses sont les notes qu’il leur a consacrées, et, à travers elles, au fil du temps, on peut sans peine recenser la grosse quarantaine de sortes de pommes qu’il cultivait et encourageait ses parents et amis à produire. Les spécialistes, pour leur information, et les amateurs, pour satisfaire leur curiosité, pourront trouver ci-après la liste alphabétique des variétés goubervilliennes.
Ce sont les pommes d’Alizon, d’Amer-Doux, de Barbarye, de Bec-de-Raillé, de Becquet, de Boscq, de Clérel, de Couet, de Coustour, de Doux-Raillé, de Dumont, de Durepel, d’ Epicey, de Feuillard, de Gentil, de Gros-Doux, de Guillot-Roger, de Haye, de Jumelle, de Long-pied, de Marin-Onfrey, de Menuel, de Moysi, d’ Orenge, d’ Ozenne, de Roussay, de Testonnet, de Thoumine-Roger ; sans omettre les Cappendu les Passe-pommes et les Rainettes, ces variétés bonnes autant pour la table que pour le cidre, auxquelles il faut encore ajouter des pommes douces sans noms précis, car « venues sans greffer ». Il ne faudrait pas non plus oublier “ les pommes de cocu”( ?), envoyées par une cousine, mais qu’il n’a jamais élevées.
Gilles ne négligeait pas pour autant les poires « pour fère du péray (du poiré) » ou pour manger telles, comme la Verd-Johannet, qu’il faisait « cueillyr avec la main dedans les arbres » ou la Verd-caillou qu’il récoltait en la laissant soigneusement tomber sur « une couverture de lict [tendue], de peur que le fruit ne se cassast ». Mais, son fruit de loin préféré était bien la pomme.
Il plantait des pommiers partout, dans tous ses jardins qu’il avait nombreux, en plein champ, ou encore « en saincture », sur le pourtour de certaines pièces de terre, mais surtout dans ses multiples pépinières.
A partir de pépins de pommes récupérés dans les marcs de cidre qu’il faisait « esmier » (émietter), « venner » (vanner), puis laver, il trouvait une source inépuisable de futurs arbustes.
Ses serviteurs plantaient ensuite les dits pépins par centaines et souvent par milliers, en semis serrés qu’une fois hersés il veillait à faire « couvrir de feugère » pour déjà les protéger. Envers ses pommiers, il avait, on peut le dire, les soins d’un père, veillant personnellement à l’arrachage et au transfert de ses “pépins” (graines) devenus jeunes pousses (qu’il appelait d’ailleurs toujours « pépins ») en des lieux où ils avaient plus de place pour croître.
Quand ces derniers avaient encore un peu grandi et étaient devenus des “surets”, il avait plaisir à participer lui-même aux travaux, assuré ici de ne pas déroger en travaillant de ses mains à cette occasion. Un jour on peut lire : « je fus bien troys heures tout seul à esmonder », un autre : « Pinchon et moy cherfouismes (cherfouir : biner entre les racines d’un arbre) tous les pommiers du jardin » ; un autre encore, pendant que Symonnet et Lajoye éliminaient les « jetons » du pied des pommiers, « j’en ostoys la mousse »… Encore plus heureux semble t-il quand il s’agissait de « enter » (greffer) ses arbres avec les greffes qu’il avait lui-même choisies, souvent chez d’autres éleveurs. Il avait conscience de faire là œuvre créatrice : pour lui, le maniement à tour de rôle de tous les outils de l’arboriculteur n’était plus geste de paysan, mais d’artiste, voire de démiurge.
Il ne relâchait ensuite jamais l’entretien et la surveillance de ses « entes » durant leur croissance, veillant à faire couvrir leur pied de fumier nourricier et essayant de les protéger avec du « sablon de mer » (sable grossier et salé des rivages dunaires) quand il les trouvait « assaillys des fourmys ».
Ses pommes, choyées de la fleur au fruit, il s’efforçait de les maintenir, toutes espèces confondues, dans le meilleur état possible. Jamais, le ramassage achevé, il ne les aurait laissées abandonnées aux intempéries, en tas sur la terre. Il en faisait soigneusement retrancher celles qui étaient gâtées, puis monter les autres pour les étaler sur le plancher de dessus son pressoir, ou en d’autres greniers bien secs du manoir. Par contre, il respectait les spécificités de chaque variété en les stockant les unes à part des autres, en les pilant au meilleur moment et en n’utilisant, autant que possible, qu’une sorte de pommes pour un même cidre. De cette façon, il obtenait ainsi divers crus à domicile.
Ses cidres, finalement tous différents, servaient alors au régal des hôtes de passage, à la tentative de guérison de certains malades, aux inévitables dons et contre-dons entre connaissances, mais surtout aux énormes besoins de la nombreuse maisonnée du maître, qui, par ailleurs, ne commercialisait guère sa production.
On doit aussi à Gilles de Gouberville la première distillation connue (1554) du cidre et la naissance de « l’eau de vie de cidre », qu’on ne pouvait encore appeler « calvados »… »
Vers les années 70, Gilbert Martin, petit-fils de cidriculteur et bouilleur de cru, devenu prof d’histoire dans ce même Cotentin, dévora littéralement les écrits parlant des pommiers à cidre et du cidre du sieur. Ainsi naquit chez Gilbert l’idée de retrouver le maximum de variétés et de les sauvegarder dans divers vergers conservatoires de la Manche.
Il y consacrera plus de 25 ans de sa vie, sillonnant la région et sauvegardant la presque totalité des variétés du sieur.
Il parviendra même à recréer le fameux cidre du sieur, si fameux que le roi François 1er en faisait venir à sa cour!
Il me l’a fait goûter. ..Un délice !
Alors qu’ un autre grand pomologue de la Manche était président-fondateur des » croqueurs de pommes de Normandie »—Eugène Tinture, à qui je consacrerai le prochain article—, j’eus la bonne idée d’adhérer à cette association, la même année que Gilbert, ce qui me permettra vite de côtoyer ces deux grands passionnés.
En , 3 vergers conservatoires de pommiers haute-tige créés par Gilbert dans sa commune de Saint Sauveur le Vicomte.
En , 2vergers conservatoires à Sainte Mère Église, le 1er créé par Gilbert. Il compte une centaine de pommiers haute-tige. Le 2ème par moi, aidé de mes amis croqueurs de pommes de la Manche. Il comprend une quarantaine de pommiers et poiriers basse-tige.Merci à Elizabeth Roulland, qui, à cette époque nous a beaucoup aidés!
En , verger de ma commune, que j’ai commencé à créer dès 2002, aidé de mes amis croqueurs de pommes de la Manche.Il comprend en ce moment plus de 300 variétés de pommes, poires, cerise, prunes…
En , verger de 22 variétés de pommes à cidre que j’ai créé en 2004. Nous étions 5 croqueurs à greffer ces haute-tiges, sur l’aire de repos de Gouvets, parmi lesquels Eugène Tinture qui nous avait fourni les greffons.
En , verger de Vains créé par Gilbert. Je me dois, un jour, d’aller y prendre des photos.
Mais triste réalité ! Je constate que ces vergers intéressent bien peu de monde!
C’est, partiellement, pour tenter que tout ce patrimoine ne disparaisse dans l’indifférence générale que je me suis décider à construire ce blog. À ce jour, Eugène a disparu; Gilbert a 88 ans et moi bientôt 70.
Cependant, j’ai déjà propagé, sous forme de greffons quelques 42 variétés de pommes à cidre de gilbert, via le site http://fruitiers.net
auprès de »MI24 » et de quelques autres adhérents à ce site prestigieux de Patrice Dumas.
C’est avec l’aide du conseil général de la Manche et d’Élisabeth Roulland que Gilbert a créé un verger conservatoire, greffant sur quelques 100 de pommiers haute-tige les variétés anciennes qu’il a récupérées par ci, par là, dans le Cotentin.
Hélas, l’avenir de ce verger nous ayant paru incertain, je suis allé, avec lui, récupérer 48 variétés, en août 2012, et les ai placées, sous forme d’écussons, sur 59 de mes porte-greffe MM106.
En voici la liste :
Babylone
Catbyr Chavatte Chinot Claque pépins Epinette Feuillard Fleur de la st jean Gris tchu Grise de Joganville Gros amer Gros boisjingand
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Gros oeil
Gros railé Grosse branque Jaune couet Jolie pomme Jumelles La moque vilain Marquisat Mesnildot Michitiphane Ozenne Paré
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Passe pomme
Petit fréquin Petit pigeonnet Petit amer Petit boisjingand Petit néhou Picette Pochonnet vert Pomme d’auge Pomme de haie Pomme de monsieur Pomme de veine
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Pomme pêche
Rambault Reinette ancienne Reinette dubuisson Reinette jaune Rever Rouge des iles Rouge feuillard Roupette de cô Sonnette St julien Tient à l’arbre |
L’année suivante (2013 ), tous mes écussons ont bien démarré. Deux échecs cependant : ‘’fleur de la saint jean’’ et ‘’roupette de cô’’, cette dernière variété présentait des yeux minuscules à tel point que je lui ai consacré 6 écussons, tous, hélas, ratés !
J’ai même offert,à » SINAR » en 2017, les 57 pommiers basse-tige que j’avais écussonnés, avec succès, en août 2012.
Les 57 pommiers basse-tige mis en jauge en attendant que Jacques, un passionné comme moi, vienne les récupérer, malgré les 216 km qui nous séparent.
Ce qui arriva vite!
Plus nous propagerons de greffons, plus nous augmenterons les chances de sauvegarder notre patrimoine fruitier!
Hélas, à ce jour, c’est à dire quelques années plus tard, il est très difficile de se procurer des greffons des variétés centenaires du sieur de Gouberville parce que, à vrai dire, tout le monde s’en fout!!!!
Cependant, amie lectrice, ami lecteur, si tu veux ardemment sauver ce patrimoine, contacte-moi. Tu trouveras mon adresse mail dans » Mes cours ». Ensemble, nous devrons alors effectuer le » parcours du combattant » et comme le dit le proverbe: à personne motivée, rien n’est impossible!
Maintenant, terminons ce chapitre par un peu de gratitude à l’égard de Gilbert!
Il reçoit la médaille du mérite agricole.
»Jeudi soir, Joël Lequertier, en compagnie de Jacques Regnault, maire de Saint-Sauveur, et Philippe Ripouteau, conseiller général, a remis à Gilbert Martin l’insigne de l’ordre du Mérite agricole, une récompense qui salue son travail au profit de la pomme.
Né à Saint-Sauveur, Gilbert Martin est orphelin dès l’âge de 5 ans. C’est donc en compagnie de sa grand-mère qu’il grandit, une grand-mère qui lui a appris à connaître et reconnaître les pommes. Professeur retraité, il a planté chez lui des pommiers. Il en a plus de 130 aujourd’hui.
Pomologue réputé au-delà du département, il a conseillé la municipalité de Saint-Sauveur, en 2000, dans la plantation et la greffe de pommiers dans le verger près du château, ainsi qu’au lotissement des Pommiers. Actuellement, la ville possède 53 variétés de pommes à cidre et 50 variétés de pomme à couteau.
« Ce verger conservatoire est sans doute le plus important de Normandie. Il représente une richesse pour l’avenir. Les pommes, par le passé, ont été une richesse pour nos parents. Je souhaite que nos pommiers ne disparaissent pas et j’aimerais que les jeunes puissent prendre le relais », a souligné Gilbert Martin. »
Et toi, amie lectrice, ami lecteur, as-tu envie de t’ échiner, de dépenser des milliers d’euros?
Tout ça parce que tu envisages un avenir meilleur pour tes p’tits chéris?
Passons maintenant aux œuvres de Gilbert!
Bon voyage!